Welcome to the Future Interview: Antoine Schmitt
Artiste plasticien, Antoine Schmitt a fait du programme informatique son matériau artistique, au cœur de ses créations à l'esthétique minimale. À l’origine, ingénieur programmeur en relations homme-machine et en intelligence artificielle, il a participé à la création de nombreux cd-roms, que ce soit des projets industriels (de systèmes d'informations géographiques), culturels ou ludo-éducatifs. Il a été notamment travaillé en indépendant pour Hyptique, sur des cd-roms comme la Bande-Son, Ca se transforme, Au cirque avec Seurat, Carton, de Jean Jacques Birgé et Bernard Vitet. Il a été conseiller technique auprès de Chris Marker pour la sortie de son cd-rom Immemory, en 1997. « Marker avait quasi fini son cd-rom, je l'ai béta-testé et lui faisait des retours (par fax ! )»
En tant que programmeur mais également auteur, il a participé au cd-rom artistique, Just From Cynthia en 1996, sous la direction artistique d'Alberto Sorbelli, où il réalise une génération aléatoire d'oracles et un personnage virtuel. « On avait investi un espace dans le Centre Pompidou dans le cadre de l'expo Féminin-Masculin, pour y monter un centre de production du cd-rom. Tous les artistes venaient, on bossait sur place devant le public.. On intégrait les médias, on testait, on se réunissait, on a mené de nombreuses expérimentations sur les interfaces de navigation, sur l'intégration des médias », explique-t-il. En 1999, avec le musicien et plasticien sonore Vincent Epplay, il réalise Infinite CD for unlimited music, un cd-rom de musique générative paru en 1999.
Qu'est-ce qui vous a donné envie de réaliser une oeuvre pour cd-rom?
C'était le seul support éditorial permettant la publication d'oeuvres multimédia (interactives, générative et pluri-média) à l'époque. Le web ne permettait pas de jouer de la vidéo, ni de faire tourner des programmes. Shockwave (qui permet d'afficher le contenu web créé avec Director) n'existait pas, sans parler de Flash. Le cd-rom était le seul moyen de toucher les gens si on était un artiste qui utilisait le matériau artistique des programmes et du multimédia.
Considériez-vous le CD rom comme un nouveau support ou un nouveau médium? Existait-il quelque chose comme du "cd-rom art"?
Le nouveau matériau artistique était la programmation (interactivité, générativité) et le multimédia (plusieurs médias intimement mêlés). Le cd-rom, comme support de publication de ce nouveau matériau artistique, avait un possible avenir devant lui. Et c'était le seul support possible. Il y a donc eu une sorte de cd-rom art. Mais fondamentalement, c'était surtout de l'art multimédia et programmé. C'était aussi un nouveau produit de consommation pour tout ce qui était plus grand public (éducation, culture, culture générale, encyclopédies, etc..)
Le cd-rom était le seul moyen de toucher les gens si on était un artiste qui utilisait le matériau artistique des programmes et du multimédia.
En terme de création, quelles sont les nouvelles opportunités offertes alors par le cd-rom?
Le cd-rom, du fait de l'ordinateur sur lequel il tournait chez son utilisateur, permettait l'usage créatif de la programmation et du multimédia. Un champ complètement neuf dans l'histoire de l'art.
Ses limitations n'étaient que techniques (débit des vidéos, capacité de stockage, lenteur d'accès). Limitations qui ont alimenté un artisanat pointu et sans impact sur la spécificité de cette nouvelle forme de création, à savoir les liens intimes entre matériaux artistiques et les programmes, matériau actif qui a pu s'exprimer, même avec le plus petit ordinateur.
Le cd-rom a-t-il été réellement une "révolution", ou simplement permi la convergence de formes d'art pré-existantes?
Le fondement de l'art qui a émergé avec les cd-roms était déjà présent avant, en particulier à travers des logiciels comme HyperCard (que j'avais utilisé dès 1987), ou comme Hyperstudio, utilisé par Chris Marker pour Immemory, ou même Director (que j'avais déjà utilisé aussi dès 1987, sous le nom de VideoWorks), ou bien sûr avec de la programmation directe, comme je l'avais fait pour mes expérimentations graphiques et sonores dès les années 70. A noter que j'avais déjà travaillé sur des cd-roms, éducatifs et utilitaires, dès 1989, au sein de la société Act Informatique à Paris.
La révolution du cd-rom, comme support de la création artistique, est venue d'une popularisation de ce nouveau matériau (programmation, multimédia) auprès d'une population de créateurs issus d'autres champs de l'art (vidéo, musique, littérature, etc..) qui y ont découvert une nouvelle forme d'expression. Le cas de Laurie Anderson est symptomatique. A postériori, je pense que le rôle des éditeurs de cd-roms a été fondamental. Ce sont eux qui ont sollicité les créateurs pour leur proposer cette nouvelle plateforme de création. Il y avait de l'argent, investi (dans les créations) et gagné (par les ventes et les subventions).
Il y a certes eu convergence de formes d'art existantes (vidéo, photo, musique, littérature), mais aussi exploration des nouvelles formes d'art permises par la programmation (interactivité, générativité) et le multimédia (liens intimes entres matériaux issus de formes d'art différentes : musique, image, texte). Ce qui a permis aussi l'émergence de nouveaux artistes qui commençaient à explorer ce matériau-là…
Le rôle des éditeurs de cd-roms a été fondamental. Ce sont eux qui ont sollicité les créateurs pour leur proposer cette nouvelle plateforme de création.
Quel a été le cd-rom qui vous a donné envie de vous lancer? Qui vous a le plus marqué? Que vous jugez le plus innovant/étonnant?
Je me rappelle avoir été très touché et impressionné à l'époque par le Puppet Motel de Laurie Anderson (1995), et par les Doors of Perception de Mediamatic (1995). Ces deux disques fourmillaient d'expérimentations. C'était très créatif, très inventif. Avec les disquettes de John Maeda (Reactive Square et Flying Letters), ce sont ces cd-roms qui m'ont fait réaliser que le matériau que j'utilisais depuis toujours pour toutes sortes d'expérimentations (jeux vidéos, intelligence artificielle, etc..) pouvait devenir mon matériau de base comme artiste. C'est en grande partie grâce à ces cd-roms que j'ai réalisé que je pouvais utiliser la programmation comme matériau principal. Il y avait une émulation. Je me suis dit que je pourrais faire mieux, plus personnel, plus précis. De là est né Le Pixel Blanc (1996)…
La question de l'obsolescence technique était-elle alors une préoccupation?
Non, on n'y pensait pas trop.
Les cd-roms ont suscité un grand enthousiasme vers le milieu des années 90. Comment analysez- vous à postériori l'échec de cette production éditoriale sur ce médium?
L'arrivée d'Internet, qui a rendu accessible (et, de plus en plus, gratuit), des créations utilisant le même matériau (programmation, multimédia). Dès que Shockwave est arrivé, je suis passé sur ce médium.
Quels sont les héritages de ces expérimentations sur cd-rom pour la création contemporaine?
Il y a eu plusieurs strates d'histoire de l'art qui se sont accumulées dessus. Le net art, et l'art multimédia et interactif sur le net à la fin des années 90. Puis le software art au début des années 2000. Puis le hacking, les installations interactives et génératives au milieu des années 2000. Aujourd'hui les fablabs et les réflexions sur les réseaux sociaux et le big data. Avec des retours en arrière permanents (comme le soit-disant "post-internet art" aujourd'hui qui reprend les mêmes détournements de codes que le net.art des années 90).
Mais je pense que ces expérimentations des premiers cd-roms avaient ouvert un questionnement sur le rapport actif de l'humain avec son environnement au sens large, dans la mesure où d'un seul coup l'environnement interactif était le matériau principal modelé par les artistes et manipulé par les utilisateurs (et en ce sens le cd-rom Doors of Perception était le plus pointu) et que les expérimentations de l'époque n'ont largement pas épuisé ce questionnement, peut-être le seul à être dans le champ de l'esthétique (la sensation) et de la philosophie (métaphysique), et non pas dans le champ de la critique sociale. Il reviendra. C'est même sûrement le seul qui restera…
D'un seul coup l'environnement interactif était le matériau principal modelé par les artistes et manipulé par les utilisateurs
Pensez-vous qu'il faille préserver ces contenus. Si oui, à quel titre et sous quelle forme?
Oui, bien sûr ! Il faut que ces oeuvres soient visibles, consultables. Elles sont fondamentales pour l'histoire de l'art. Tout étudiant ou artiste désirant se lancer dans un art à base de technologie numérique devrait les avoir consultés d'abord.
Quant à la forme, je n'ai pas de préférence. Ce qui est important pour moi : que l'esthétique soit préservée, au sens large, c'est-à-dire, pour la majorité du corpus de mon travail, surtout la dynamique de l'oeuvre, l'algorithme, l'interactivité, les formes, la composition visuelle, les couleurs.
Le plus simple sur le long terme est clairement l'émulation du contexte général nécessaire au fonctionnement de l'oeuvre (qui chez moi est quasi toujours un programme en fonctionnement) : systèmes d'exploitation, librairies (Quicktime, etc..), hardware. Sur un ordinateur ou en ligne, peu importe, mais comme je suis réfractaire à la notion de cloud, je préfère hors ligne. Ce qui fait aussi sens dans le cas d'un collectionneur (particulier ou institution), qui veut sûrement garder la possession de l'objet-oeuvre, et non pas l'avoir sur internet. Si l'émulation n'est pas possible, une option peut être la re-programmation, en repartant du code source original. Si ce n'est vraiment pas possible, alors vidéo, papier, bouche-à-oreille, etc...
Propos recueillis par Marie Lechner, journaliste spécialiste des cultures numériques et chercheure à Pamal (Preservation-Archeology-Media art Lab) à l'École supérieure d'art d'Avignon (pamal.org)
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